“Human & Business Centric” : les piliers de la stratégie RH gagnante de Matthieu LUCAS, DRH Groupe Windsor

Interview Matthieu LUCAS, DRH Groupe Windsor

La transformation menée par Matthieu Lucas au sein du Groupe Windsor montre qu’une stratégie RH à la fois “Human centric” et “Business centric” peut réellement changer la trajectoire d’un établissement.
En deux ans, il a structuré une fonction RH complète, stabilisé des équipes clés et posé les bases d’une performance durable dans un secteur sous tension.
Un retour d’expérience rare, inspirant et riche d’enseignements concrets pour tous les leaders HCR.

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Pouvez-vous nous raconter brièvement votre parcours et ce qui vous a conduit à devenir DRH en hôtellerie / restauration ?

M.L. : J’ai un parcours assez atypique car à l’origine je ne me destinais pas du tout aux ressources humaines, mais plutôt aux métiers de la finance. Mon chemin s’est construit par étapes : un cursus en comptabilité/finance, une école de commerce, puis un mastère spécialisé en ressources humaines. Ce mélange me donne aujourd’hui un vrai avantage : je peux à la fois parler le langage des chiffres avec la direction ou les services gestion, comprendre les enjeux opérationnels des équipes terrain et utiliser des compétences issues d’autres domaines – comme le marketing – pour les transposer en RH, par exemple sur la marque employeur ou l’expérience collaborateur.

Tout a réellement commencé chez Leroy Merlin, où j’ai intégré l’entreprise en alternance. Pour être transparent, je n’ai jamais été passionné par le bricolage … (secret : je ne le suis toujours pas 😅) en revanche je suis tombé amoureux de leur culture d’entreprise : la confiance, l’autonomie, la responsabilisation.

Je me suis donc battu pour y rester. L’entreprise m’a fait confiance et m’a permis de grandir vite : en l’espace d’un an et demi, je suis passé d’alternant RH à Leader RH magasin.

Avec les changements de magasins et les nouvelles responsabilités, je me projetais clairement sur le long terme chez eux. Mais j’avais aussi cette conviction profonde : pour être un bon DRH, il faut connaître plusieurs secteurs d’activité, se confronter à d’autres cultures, d’autres contraintes, d’autres rythmes.

L’hôtellerie haut de gamme m’attirait particulièrement : exigence de service, expérience client, dimension internationale, forte intensité humaine…

Contre toute attente, alors que j’étais encore en développement chez Leroy Merlin, j’ai été approché par un groupe indépendant au Pays basque qui m’a proposé un véritable challenge : créer la fonction RH de A à Z.

En décembre 2022, j’ai donc fait le choix de rentrer au Pays basque et de créer le poste de DRH Groupe au sein du Groupe Windsor, qui regroupe aujourd’hui 8 structures hôtelières/restaurants sur le territoire.

 

Qu’est-ce qui vous anime le plus dans ce métier aujourd’hui ?

M.L. : Ce qui m’anime au quotidien, c’est l’expérience collaborateur et la marque employeur.

Je suis convaincu que dans notre secteur, où tout repose sur l’humain, valoriser l’expérience des collaborateurs est un levier majeur de performance durable et de fidélisation. Nos meilleurs ambassadeurs ne sont pas nos campagnes de communication : ce sont nos collaborateurs eux‑mêmes. Quand ils sont fiers de leur travail, alignés avec la mission et la vision de l’entreprise, et qu’ils comprennent bien le business, alors ils deviennent naturellement prescripteurs.

Mon rôle, c’est de faire en sorte que cette équation soit possible :

  • Des conditions de travail claires et justes,

  • Une vision expliquée, pas seulement affichée,

  • Des managers accompagnés pour faire vivre cette culture au quotidien.

 

Quels sont vos trois plus grands défis RH en ce moment dans votre groupe ?

M.L. : Je pense que nous partageons tous le même constat dans le secteur : nos enjeux sont avant tout humains.

  • Attirer et fidéliser dans un contexte de pénurie de talents : Nous sommes sur un marché “pénurique”, particulièrement en cuisine et en hébergement. Pour attirer et garder les Talents, il ne suffit plus de “proposer un poste” : il faut offrir un projet, une expérience, une trajectoire.

  • Composer avec un contexte économique tendu : Les coûts augmentent, les marges sont sous pression et les attentes clients restent élevées… On doit donc concilier une politique salariale responsable, des investissements RH structurants (formation, logement, outils) et la nécessaire rentabilité de nos établissements.

  • Faire face à la crise du logement au Pays basque : C’est un sujet majeur et très concret : on peut recruter les meilleurs Talents, mais s’ils ne trouvent pas à se loger à proximité, on perd la bataille. La crise du logement est un vrai casse‑tête et nous oblige à innover : partenariats, solutions temporaires, réflexion sur la localisation des postes, etc.

 

Comment gérez-vous ces enjeux au quotidien ?

 M.L. : Au quotidien, je reviens toujours à une base simple : le lien humain et la qualité du management de proximité.

Concrètement, cela passe par plusieurs rituels et dispositifs :

  • Du relationnel, encore et toujours : Être présent sur le terrain, connaître les prénoms, les histoires, les contraintes des équipes. On ne peut pas prétendre piloter les RH d’un groupe hôtelier depuis un bureau.

  • Des points 1:1 avec les managers, chaque mois : J’ai mis en place des entretiens mensuels RH – managers pour :

  • Suivre les équipes, les tensions, les besoins,

  • Créer des parcours de développement individuel

  • Accompagner les managers dans leurs décisions,

  • Anticiper les sujets sensibles avant qu’ils ne dégénèrent.

  • Animer les managers sur l’art du briefing et du debriefing : Dans nos métiers, l’avant et l’après‑service sont des moments clés. Nous travaillons beaucoup sur

    • Des briefings structurés (objectifs du service, répartition des rôles, points de vigilance),

    • Des debriefings utiles (retours constructifs, reconnaissance, axes de progrès). Un bon briefing/debriefing, c’est un outil RH très puissant au quotidien. 

  • Des fondations sociales solides : L’exemplarité est non négociable :

    • Conformité réglementaire

    • Respect du droit du travail,

    • Gestion rigoureuse du temps de travail,

    • Zéro “zone grise”.

Dans un secteur parfois fragilisé sur ces sujets, je considère que nous devons être irréprochables.

Y a-t-il une pratique ou un réflexe RH qui, selon vous, fait vraiment la différence dans votre groupe aujourd’hui ?

 M.L. : Si je ne devais en citer qu’une, ce serait le 1:1 mensuel entre la RH et les managers. Ce rendez-vous régulier permet :

  • De parler vrai sur les équipes,

  • De donner un soutien concret aux managers,

  • De créer des parcours de développement sur mesure et groupés

  • De faire le lien entre la vision du groupe et la réalité opérationnelle.

En complément, nous travaillons à créer une expérience collaborateur différenciante : faire en sorte que travailler au Groupe Windsor ne soit pas comme ailleurs dans le secteur. Ça passe par :

  • Des parcours d’intégration soignés,

  • Une attention portée aux conditions de travail,

  • Un management de proximité soutenu et responsabilisé.

 

Pouvez-vous partager une réussite RH récente dont vous êtes particulièrement fier ?

 M.L. :  Je suis particulièrement fier de la baisse très significative du turnover dans certaines de nos équipes clés. En cuisine et en chambres, nous étions, avant la création de la fonction RH, sur un taux de turnover avoisinant les 180 %. Deux ans après la structuration de la fonction RH, nous sommes descendus aux alentours de 40 %. Ce n’est pas le fruit d’une action miracle, mais d’un travail de fond :

  • Meilleure qualité de recrutement,

  • Accompagnement et formation des managers,

  • Clarification des attentes et des rôles,

  • Attention portée à l’intégration, au suivi et à la reconnaissance.

  • Retravailler l’organisation du travail : la valeur ajoutée de chaque collaborateur au centre de ses missions

Dans un secteur où l’on entend souvent dire que le turn-over est “normal “, je crois que cette évolution prouve qu’on peut et surtout qu’on doit faire autrement.

 

Et à l’inverse, une situation complexe que vous avez réussi à transformer positivement ?

 M.L. :  Un exemple très concret : la pénurie de talents en cuisine. Nous avons été confrontés, comme beaucoup, à des difficultés majeures pour recruter des profils qualifiés. Plutôt que de subir, nous avons :

  • Repenser nos modes de recrutement,

  • Travaillé sur la marque employeur spécifique aux métiers de la cuisine,

  • Mise en place des parcours de montée en compétences pour des profils plus juniors,

  • Renforcer le dialogue entre chefs et RH pour aligner attentes et réalités.

Ce n’est pas un sujet “réglé pour toujours”, car c’est toujours aussi difficile de trouver les bonnes personnes en temps voulu, mais nous avons réussi à stabiliser des brigades. Ce n’est quand même pas un long fleuve tranquille ! car tout peut changer du jour au lendemain !

Selon vous, quelles seront les tendances et les enjeux RH majeurs dans l’hôtellerie / restauration dans les prochaines années ?

 M.L. : Je distinguerais clairement restauration et hôtellerie, car les dynamiques ne sont pas tout à fait les mêmes.

  • Dans la restauration :

Le secteur va devoir opérer une grosse remise en question. Nous sommes face à une équation complexe :

  • Marges de plus en plus faibles,

  • Salaires de plus en plus élevés,

  • Contraintes réglementaires et sociales renforcées,

  • Et des collaborateurs qui, à juste titre, recherchent un meilleur équilibre de vie.

On ne pourra pas simplement “faire comme avant”. Il faut réécrire le modèle autour d’une logique gagnant-gagnant entre employeurs et employés.

Le souci étant, que nous sommes passé d’un marché d’employeurs vers employés à un marché d’employés vers employeurs. Le marché s’est retourné et les Talents ont pléthore aujourd’hui de choix. Pour moi, les priorités sont :

  • Investir massivement dans la formation des jeunes et l’attractivité des métiers,

  • Mettre davantage d’exigence dans les cursus de formation et dans l’accès au statut de restaurateur,

  • Travailler sur des organisations plus stables, plus prévisibles, plus respectueuses des temps de repos.

Dans l’hôtellerie :

Le monde de l’hôtellerie, notamment haut de gamme, reste un secteur :

  • Un peu plus stable et attractif,

  • Offrant un équilibre vie pro / vie perso légèrement plus accessible que dans la restauration pure,

  • Permettant de belles carrières évolutives,

  • Et ouvrant sur un monde international, notamment grâce à la renommée française dans l’hospitalité.

L’enjeu RH sera de :

  • Continuer à rendre ces trajectoires lisibles,

  • Formaliser des parcours de carrière et de mobilité,

  • Et renforcer l’attractivité de nos métiers auprès des nouvelles générations, en montrant que l’on peut y construire une vie professionnelle complète, pas seulement “un job alimentaire”.

 

Le quotidien d’un RH en hôtellerie / restauration est souvent très dense. Quels sont vos rituels pour préserver votre énergie et votre engagement ?

 M.L. : Nos journées sont rythmées par les imprévus, les urgences opérationnelles, les besoins de dernière minute. Pour rester efficace et aligné, j’ai mis en place quelques rituels :

  • La méthode du “time boxing” : Je planifie des créneaux dédiés par sujet (projets RH, entretiens, terrain, analyse, etc.). Cela me permet de rester focus et de faire avancer les dossiers de fond, même dans un environnement très sollicitant.

  • Savoir dire stop dans un monde qui ne s’arrête jamais : L’Hôtellerie – Restauration fonctionne en continu, mais le DRH ne doit pas être en “sur‑réaction” permanente. J’apprends à déléguer, faire monter en compétences les collaborateurs terrain, responsabiliser les Managers pour qu’ils soient les premiers acteurs RH de leurs équipes.

Préserver son énergie, c’est aussi une condition pour prendre des décisions justes et garder une vision long terme.

Si vous pouviez transmettre un seul message aux Directeurs Généraux du secteur, lequel serait-il ?

M.L. : Investissez dans les Ressources Humaines !

Pas uniquement dans un poste de DRH “administratif” mais dans un service RH capable d’être à la fois “Business centric” et “Human centric”.

Concrètement, cela signifie :

  • Professionnaliser le recrutement : mieux cibler, mieux évaluer, mieux intégrer ;

  • Offrir une meilleure expérience collaborateur : parcours, management, reconnaissance, conditions de travail ;

  • Améliorer le taux de rétention : stabiliser les équipes, capitaliser sur les compétences internes ;

  • Créer du liant entre la vision de l’entreprise et l’opérationnel : que chaque collaborateur comprenne le “pourquoi” de ce qu’il fait.

Dans nos métiers, la différence se joue rarement uniquement sur le produit. Elle se joue surtout sur la qualité des équipes. Et cela, c’est le résultat direct de la façon dont on pense et dont on investit dans les Ressources Humaines.

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